À plus de 50 ans, le Genevois Yves Linder reprend la direction — et la destinée — de Metallover SA, entreprise artisanale emblématique de la menuiserie métallique genevoise, fondée il y a plus de 60 ans par Julian Hofmann, puis dirigée par ses fils, Daniel et Frédéric, pendant plus de 30 ans. Ensemble, les trois dirigeants orchestrent une transition maîtrisée : sans rupture, mais avec rigueur. Pascal Desbœufs, chargé des relations publiques de l’entreprise, les interroge sur ce passage de témoin aussi précis qu’ambitieux.
Pascal. On dit souvent qu’une transmission réussie repose davantage sur la convergence des visions que sur la rupture des modèles. L’exemple de Metallover en est l’illustration : pas de révolution, pas d’effets d’annonce, mais une transition fidèle à l’esprit de la maison. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
Daniel Hofmann. Metallover a toujours été plus qu’une entreprise : un lieu de conception, de fabrication et de construction, fondé sur la transmission du savoir-faire. Nous avons toujours souhaité l’inscrire dans une continuité dépassant la seule logique dynastique. Il n’était pas question de précipiter les choses. La transition s’est opérée par étapes, naturellement. Yves incarne pleinement cette vision.
Yves Linder. Je ne considère pas la reprise de Metallover comme une acquisition. Dans mon esprit, j’ai rejoint l’entreprise pour prolonger et enrichir une démarche préexistante. Ici, nous concevons des objets au service de l’architecture de notre ville — des réalisations appelées à durer plusieurs décennies. C’est à la fois une responsabilité et un privilège. Notre travail s’inscrit dans une manière de penser propre à Genève, respectueuse de l’histoire et des usages. Nous ne visons pas la production de masse : chaque pièce est conçue et fabriquée avec exigence, dans un souci constant d’équilibre entre technique et esthétique. La réputation de Metallover repose sur ses valeurs : qualité, continuité, respect du métier — et innovation, lorsqu’elle sert le projet. Dans le « mode d’emploi » rédigé par Daniel et Frédéric, Metallover est définie comme un organisme vivant, au sein duquel on crée, on partage, on réalise et on se réalise. Ici, l’intelligence collective prime sur la hiérarchie, la croissance découle naturellement d’actions justes, et chaque collaborateur est invité à conjuguer excellence technique et authenticité personnelle. Cette vision du travail résonne avec mes propres valeurs. En rejoignant Metallover, j’ai choisi de prolonger une aventure rare : celle d’une entreprise qui, loin des logiques marchandes classiques, continue de toucher les étoiles sans jamais « quitter la terre ».

De gauche à droite : Daniel Hofmann, Yves Linder, Frédéric Hofmann.
Yves, reprendre une entreprise à plus de 50 ans, c’est un choix peu courant. Quelles raisons vous ont poussé à cela ?
Yves Linder. On me parle souvent de courage. Pour moi, c’est avant tout une opportunité. À 50 ans, on a de l’expérience, une vision, et un rapport au succès plus lucide. J’ai dirigé des entreprises ou des départements sans jamais en être propriétaire. Avec Metallover, je m’engage dans un accomplissement personnel, fidèle à ce que j’ai toujours défendu dans mes activités précédentes : l’amour du travail bien fait et la fidélité aux engagements. Metallover, ce sont 22 collaborateurs — techniciens, calculateurs, poseurs — qui œuvrent ensemble à un objectif commun : fabriquer et monter des ensembles en acier, aluminium ou verre de haute technicité. Avec eux, je poursuivrai cette tradition, sans céder à la logique du rendement à tout prix. La croissance n’a de valeur que si elle reste alignée avec notre ADN.
Daniel Hofmann. Ce que j’apprécie chez Yves, c’est sa capacité à écouter, à comprendre, à s’impliquer sans chercher à imposer. Il respecte les gens et la culture d’entreprise. Pour moi, c’est l’essentiel. Ce que je transmets pour ma part, c’est une exigence de fond : le respect des règles de l’art, le geste juste, la fierté du métier.
Yves Linder. Oui. Et je crois que c’est un message important à porter : à 50 ans, on peut encore entreprendre, transmettre, se réinventer. L’âge n’est pas un frein. C’est souvent un point d’équilibre. Et je suis heureux de vivre ce moment ici, à Genève, dans une entreprise qui a su garder son âme.
Vous avez tous deux évoqué la notion de “chance” d’exercer ce métier à Genève. Qu’est-ce qu’elle signifie, concrètement, pour vous ?
Daniel Hofmann. Nous exerçons dans une ville exigeante, cultivée, qui laisse peu de place à l’à-peu-près. Mais si l’on respecte les règles de l’art, on est respecté en retour. Chez Metallover, on a toujours considéré notre rôle comme une forme d’engagement : l’élégance d’un détail, la justesse d’une ligne, c’est aussi une manière de participer au récit architectural de Genève.
Yves Linder. Il y a des villes où la rentabilité dicte tout. À Genève, il y a encore de la place pour l’exception et le bel ouvrage. Ce que nous fabriquons contribue à l’identité d’un lieu, d’un édifice, d’un pan d’histoire. Et pour nous, cette responsabilité donne du sens à nos semaines, même les plus chargées.
Yves, vous parlez souvent de “puissance tranquille” pour définir l’entité Metallover. Que voulez-vous dire par là ?
Yves Linder. Pour moi, la puissance tranquille, c’est ce qui résiste à l’agitation. C’est miser sur la qualité de l’équipe avant la croissance à tout prix. Je suis venu ici pour faire quelque chose de juste, de durable. Et cela commence par une posture : écouter, respecter, transmettre.
Daniel Hofmann. Et cette posture-là, c’est aussi ce qui m’a convaincu. Yves a cette capacité à valoriser les talents, à créer un climat où les collaborateurs se sentent soutenus et compris.